Découvrez l’histoire de l’Association du personnel du CERN en quelques questions

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No
412

1. Quand et pourquoi l’Association du personnel du CERN a-t-elle été créée et quels ont été ses principaux combats ?

Le CERN étant une organisation internationale, l’Association du personnel du CERN (AP) doit être plus qu’un syndicat car le lien de dépendance qui existe entre le CERN et son personnel va bien au-delà de l’habituel lien employeur-personnel. En effet, le personnel du CERN n’est soumis ni à un droit du travail ni à un système de protection sociale nationaux[1] et c’est au CERN qu’il revient de définir son propre droit du travail et sa propre protection sociale. Le CERN assume donc un double rôle : celui d’un employeur et celui d’un État. Se crée ainsi un lien bien particulier entre le CERN et son personnel. Et ce lien existe non seulement pendant la vie professionnelle, mais s’étend au-delà car seul le CERN est garant de sa protection sociale (p.ex. pensions et couverture maladie). En plus, cette protection sociale s’étend aux membres de la famille des employés. Ce télescopage des relations État-citoyen et Employeur-employé donne alors aux fonctions et actions de l’AP un caractère différent à bien des égards de celles d’un syndicat ne serait-ce que parce que les négociations avec l’employeur portent sur un domaine plus vaste et que, comme les représentants des citoyens dans un État, elle doit contribuer directement à l’élaboration du droit du travail et du système de protection sociale. Globalement donc, l’Association du personnel n’a pas pour objet, en premier lieu, de mener des « combats » : elle est le partenaire social de l’Organisation.

Mais l’Association a encore une autre vocation. Elle l’a illustré, tout récemment, par la publication récente de la brochure intitulée « Quel futur pour le CERN ? » Il est remarquable de noter que ce qu’elle y défend ce n’est pas l’avenir du personnel, bien que celui-ci soit évidemment très lié à celui de l’Organisation… Elle y défend les buts, les principes et les valeurs qui sont à la base de la création et de la poursuite de l’existence du CERN et de sa réussite en tant qu’organisme européen de tout premier ordre au niveau mondial. L’Association y revendique la nécessité de continuer à disposer de moyens suffisants, y compris en personnel qualifié et en équipements, pour continuer à promouvoir concrètement, à travers ses activités, l’esprit de coopération et de paix qui lui ont permis d’être une très grande réussite européenne. En résumé : défendre les intérêts du personnel et des membres de leur famille, contribuer directement à l’élaboration du droit du travail et de la protection sociale spécifiques au CERN, et promouvoir les valeurs et la place du CERN au sein de la recherche et de la culture mondiales, tels sont les trois axes de la mission de l’Association du personnel du CERN. Bien plus que des « combats » donc !

C’est dès le début de l’existence du CERN, alors hébergé dans des locaux de l’Université de Genève, que l’utilité, la nécessité même d’une Association du personnel avec une mission multi-facettes comme décrite ci-dessus a été comprise par les premiers employés : ils se sont réunis et ont adopté des Statuts le 11 mai 1955. Quelques semaines seulement plus tard, le Directeur général du CERN de l’époque, C. J. Bakker, reconnaissait l’Association comme interlocuteur de la Direction et comme seul organisme représentatif de tout le personnel. Le premier comité paritaire permettant aux deux parties de dialoguer régulièrement était créé en même temps. Dans la foulée, plusieurs organes paritaires étaient institués, y compris pour régir la protection sociale spécifique au CERN. Quelques années plus tard, en 1961, l’Association ayant démontré toute son utilité, elle trouvait sa place dans les Statut et Règlement du personnel.

L’Association a bien d’autres facettes encore. Deux méritent d’être mentionnées ici : d’abord, le Jardin d’enfants et école sis sur le site même du CERN, à Meyrin. Ouvert non seulement aux enfants des membres du personnel mais aussi à ceux de l’ensemble de la population locale, il fonctionne depuis plus de 50 ans sous l’égide de l’Association. Plusieurs élus de l’Association sont nommés responsables de cette structure externe et assument donc le rôle d’employeur des quelque 25 personnes qui animent ce lieu, réputé depuis longtemps. C’est aussi l’Association qui en assume la responsabilité financière ultime et qui obtient une subvention de la Direction du CERN.  Ensuite, une centaine de clubs sportifs ou culturels fonctionnent sous l’égide de l’Association. Ils sont un moyen très efficace pour les membres du personnel et leur famille de s’intégrer dans la région car ils sont un lieu privilégié de rencontres, y compris avec la population locale à laquelle ils sont ouverts. L’Association les subventionne et obtient une subvention équivalente de la Direction du CERN. Offrir le cadre de fonctionnement à ces organismes et les aider à atteindre leurs buts demande temps et efforts ; l’Association s’y attache année après année.  

Ceci étant posé, les principaux sujets auxquels l’Association a contribué ont été : la consolidation de la protection sociale du personnel employé (mise en équilibre de la Caisse de pensions, garantie des pensions et de l’assurance maladie en cas de dissolution du CERN, prise en charge de la dépendance …) ; un meilleur équilibre entre le temps de travail et le temps personnel (possibilité d’acheter et d’accumuler des congés, possibilité de réduire le temps de travail à l’approche de la retraite…) ; que les conditions d’emploi offertes par l’Organisation lui permettent d’attirer de tous ses États membres le personnel de la plus haute compétence nécessaire à ses activités, puis de le garder et de le motiver (depuis un dizaine d’années il s’agit surtout de s’opposer aux attaques répétées visant à réduire le coût du personnel) ; que l’Organisation puisse surmonter les crises sans perdre sa capacité à être et rester un haut lieu de la recherche fondamentale et un centre d’expertise de classe mondiale (programme de recrutement financé par du temps épargné qui a permis pendant des années au CERN de disposer d’effectifs que son seul budget ne permettait pas, intégration d’une partie du personnel de sous-traitants) ; que l’adaptation des traitements face à l’inflation ne provoque plus chaque année une crise sociale (ajustement annuel prenant effectivement en compte la pratique des États membres en la matière)… Dans presque tous les cas, ces sujets sont encore ceux d’aujourd’hui ; rares sont les sujets qui ont trouvé une solution satisfaisante qui le soit resté dans la durée.

Pour pouvoir contribuer efficacement il faut que l’Association soit pour la Direction et les États membres un interlocuteur avec lequel toutes les décisions affectant le personnel sont concertées. Le devenir (remplacement de la consultation par la concertation, création d’un organe tripartite de discussion en amont des décisions…) a donc été un travail important et le rester l’est aussi. Il en est de même de la crédibilité, de la représentativité et de la capacité d’initiative de l’Association : ce sont aussi des sujets sans fin. À plusieurs reprises il a fallu se résoudre au combat et appeler le personnel à cesser le travail, chose très rare dans les organisations intergouvernementales, mais cela a été fait à plusieurs reprises et le personnel a toujours répondu présent.

Plusieurs de ces actions ont permis de faire évoluer les Statut et Règlement du personnel et les autres textes qui régissent les conditions d’emploi, de retraite et d’assurance maladie du personnel employé. Les actuels mécanismes de discussion entre l’Association, la Direction et les États membres sont aussi le résultat d’une longue évolution voulue par l’Association : la concertation plutôt que la consultation qui est de norme dans les organisations intergouvernementales est un véritable plus (il y a au CERN une obligation de déployer tous les efforts possibles pour converger) et l’existence d’un organe tripartite avec les représentants des États membres aussi (c’est l’occasion de se mieux comprendre, d’apprécier les attentes et contraintes des uns et des autres, bref de se donner les moyens de converger plutôt que de s’affronter). Reste que mettre en œuvre ces mécanismes est aussi une question de personnes…

Dans certains cas, l’Association a eu à faire face à des tentatives de division. Ce fût le cas en 1979, à l’occasion de la révision périodique des conditions d’emploi et de la grille des salaires du personnel, lorsque les États membres ont décidé, avec l’accord de la Direction Générale du Laboratoire, de geler les salaires des trois grades les plus élevés. Il s’agissait de priver le personnel concerné de tout ajustement durant un certain nombre d’années pour aboutir à une réduction de respectivement 3, 6 et 9 % des salaires les plus élevés. Une importante partie du personnel concerné, s’étant sentie mal défendue par l’Association du personnel, décida de créer un organe composé de représentants élus, le « Comité du personnel supérieur ». Ils étaient désireux de faire connaître directement leur point de vue à la Direction Générale sur les questions concernant leurs conditions d’emploi, sans avoir à passer par le canal de l’Association du personnel. Ces événements se sont produits au moment de l’élection annuelle d’une nouvelle équipe de dirigeants de l’Association du personnel. Sitôt élue, cette nouvelle équipe s’est aussitôt montrée soucieuse d’éviter une scission dans le personnel et de soutenir le système de représentation unique auquel tenait fermement aussi bien la majorité du personnel que la Direction du Laboratoire. Soucieuse d’assurer à l’Association du personnel une indiscutable légitimité, ses dirigeants firent approuver la création de trois collèges électoraux, permettant à chaque membre du personnel d’élire désormais au Conseil du personnel, un délégué de sa propre catégorie professionnelle : universitaires, techniciens, employés de métier. Chaque Collège disposa ainsi, au sein du Conseil, d’un nombre de délégués proportionnel à ses effectifs. Ce système de représentation n’a pas changé depuis et l’Association reste encore aujourd’hui la seule représentation statutaire de l’ensemble du personnel.

Dans d’autres cas, les combats étaient par trop inégaux et le personnel du CERN a vu ses conditions d’emploi ou de travail se dégrader (ralentissement des carrières, réduction des effectifs, proportion plus importante des contrats à durée déterminée, âge de la retraite porté à 67 ans en 2012 déjà…). Repartir au combat sur ces sujets est difficile, se mettre en position de pouvoir reprendre le terrain perdu est très ardu.

Comme ailleurs, les questions liées au genre, aux relations entre les genres, et à la diversité (p.ex. origine, orientation sexuelle, nationalité, statut au sein de l’institution) sont des questions auxquelles la représentation du personnel s’est et s’intéresse encore. La dynamique créée par la présence sur le site d’une population d’origines très diverses est parfois ralentie par des différences d’approche trop nombreuses. L’Association a soutenu et soutient encore les évolutions vers plus de respect, de compréhension et de tolérance. Par exemple, elle a fermement soutenu la pleine reconnaissance des mariages et partenariats entre personnes de même sexe, ce qui a permis de contourner les oppositions de certains États membres (le CERN a de ce fait été l’une des premières organisations intergouvernementales à reconnaître ces unions).

Interview réalisée par geneveMonde.ch avec quatre anciens présidents ou vice-présidents de l’Association: Marcel Aymon, Michel Benot, Joël Lahaye, Jean-Pol Matheys et Michel Vitasse.

 

[1] Cela découle entre autres de l’Accord de siège convenu à la création même du CERN entre la Confédération suisse et l’Organisation : cette dernière n’est exemptée de la prévoyance sociale suisse que si elle offre une protection sociale équivalente à son personnel.

 

La suite de cet article sera publié lors du prochain numéro.